1975-1979: L’enfer rouge

En passant par Phnom Penh, la capitale Cambodgienne, nous plongeons dans l’histoire Khmer et découvrons la vie qu’a été celle des Cambodgiens sous domination rouge.
3 ans, 8 mois et 20 jours d’horreur, de faim, de maladie et de terreur. Une tragédie.

Après la lecture de First, they killed my Father – la biographie d’une enfant Cambodgienne ayant été chassée de Phnom Penh avec sa famille et racontant sa traversée de l’enfer Khmer rouge, puis le visionnage de Killing Fields, nous avions envie d’en savoir plus sur ce qui c’était passé au Cambodge durant cette période trop longtemps ignorée du monde extérieur…


Un peu de contexte…

Les Khmers rouges sont arrivés au pouvoir le 17 Avril 1975 après une guerre civile dévastatrice avec les partisans au gouvernement pro-américain de Lon Nol, ceux là même ayant formé un coup d’Etat en 1970 pour déloger le prince Sihanouk du pouvoir.

La guerre du Vietnam voisin a joué dans le glissement du Cambodge, celui ci étant régulièrement bombardé par les Américains dans les zones frontalières entre les 2 pays, alimentant la contestation locale contre le gouvernement de Lon Nol. De 1967 à 1975, les Khmers rouges (appuyés par les Nord Vietnamiens) ont donc combattus les hommes de Lon Nol qui bénéficiaient du soutien du Sud Vietnam et des Etats-Unis. Jusqu’à ce que les Khmers rouges l’emportent et entrent victorieux dans Phnom Penh un matin d’Avril 75.

Les Khmers rouges entrant dans Phnom Penh le 17 Avril 1975

Le pays sortant de 8 ans de guerre civile, la population a célébré la fin des hostilités et accueillis les Khmers rouges avec enthousiasme dans les rues de la capitale. La fin des combats, le début d’une ère de renouveau pour le pays, des jours pleins d’espoirs… il ne faudra pas 1 semaine aux Khmers rouges pour briser tous leurs espoirs et faire taire les premiers récalcitrants.


La philosophie Khmer rouge

Les Khmers rouges rêvaient d’une société agraire où chacun vivrait à la campagne et travaillerait sa terre pour le bien commun. Fini la propriété individuelle et l’enrichissement personnel! Du coup, dès leur arrivée au pouvoir, ils vidèrent les grandes villes et envoyèrent les citadins à la campagne. Quel que soit son état, tout le monde dehors (à pied, en voiture, sur un lit d’hôpital, à 90 ans, ou avec 6 enfants), Dehors! Les citadins seront pendant près de 4 ans considérés comme des sous-citoyens, pervertis et débauchés par le capitalisme de la ville. Ils vivront les instants les plus difficiles.

La religion d’Etat deviendra la seule autorisée. L’Angkar (organisation en khmer) est le seul Dieu digne de prières. Les moines, soeurs et toute autre personne servant une religion seront massacrés pour qu’il n’en reste aucun. Les temples et lieux de culte seront saccagés. Angkar tout puissant…

Dans la lignée de l’abolition de la propriéte et dans un souci de faire perdre à tous leur individualité, les Khmers rouges imposent une tenue unique et identique à toute la population. Vêtements, bijoux, chaussures mis au bûcher, les sujets de l’Angkar apparaissent en noir et rouge pendant 4 ans. Dans les champs, en prison ou au fin fond de leurs villages, tous maigriront dans leurs uniformes et beaucoup mourront vêtus des couleurs de leurs oppresseurs.

Tout cela dans le but ultime de créer une société “parfaite” où chacun travaillerait dur pour le bien de la communauté. Les Khmers rouges redéfinissent le calendrier et decrètent que 1975 sera l’année 0, celle ou une nouvelle société Khmer verra le jour. Mais pour parvenir à définir une société nouvelle, il faut d’abord effacer les traces de la société précédente… Ce raisonnement conduisit au meurtre en masse de toute la société intellectuelle Cambodgienne: professeurs, médecins, journalistes, fonctionnaires du gouvernement de Lon Nol, gens lettrés, généraux de l’armée, tous furent massacrés dès les premières heures des Khmers rouges au pouvoir. La parano de ces derniers s’étendit jusqu’à tuer les porteurs de lunettes, car qui porte des lunettes est forcément un intellectuel…

Maintenant que les têtes pensantes ne penseront plus, la propagande des Khmers rouges peut s’étendre dans les villages reculés et pervertir les jeunes cerveaux. On apprend aux enfants à dénoncer leurs parents pour l’Angkar, à travailler de longues heures pour que l’Angkar puisse acheter des armes, à participer à des réunions de bourrage de crâne à la gloire de l’Angkar…

Pendant ces années de terreur, 1.7 million de personnes sont mortes (de faim, sous la torture, de maladie ou exécutées), soit plus d’1/5ème de la population.

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Pol Pot aura réussi à tuer, en toute impunité, 1/5ème de la population Cambodgienne en moins de 4 ans, abominable.

Nous découvrirons 2 lieux dans les environs de Phnom Penh qui nous en diront plus sur cette période noire…


Le centre de sécurité S-21

Originellement une école, Tuol Sleng (ou S21) est devenu une prison dans laquelle sont passés entre 12.000 et 20.000 innocents. Aujourd’hui transformée en musée du génocide, elle était dans les années 70 un des 170 centres de sécurité éparpillés partout au Cambodge et dirigés d’une main de fer par les lieutenants Khmers rouges.

Plus qu’un centre de sécurité, il s’agissait d’abord d’un centre d’interrogatoire où les prisonniers étaient sommés d’avouer de prétendus crimes ou trahisons contre l’Angkar. Toute personne pénétrant dans l’enceinte de Tuol Sleng était dèja condamnée (car qui est arrêté est forcément coupable) et mieux valait avouer des crimes imaginaires qu’être torturé 3 fois par jour, affamé, battu, et enfermé dans une cellule de 1,5m2 avec 2 autres prisonniers.

 

Pour les motifs les plus futiles, des familles se sont retrouvées dans cet enfer… L’histoire de la jeune Hout Bophana nous donne un aperçu des griefs qui pouvaient coûter la vie d’innocents… Parce qu’elle avait écrit des lettres à son amoureux alors que toute correspondance était interdite, elle fut torturée pendant 6 mois avant d’être exécutée…

Des Khmers rouges eux mêmes ont fini du mauvais côté des barreaux, l’administration devenant de plus en plus paranoïaque, les soldats de Pol Pot ont fini par s’entretuer les uns les autres.

Seules 7 personnes sont sorties vivantes de cette prison. 7 sur 20000!

La visite du lieu se fait en silence… les instruments de torture sont exposés, les cellules ouvertes, les explications précises et détaillées. Ca fait mal au coeur mais ce qui nous marque le plus reste les photos des victimes qui couvrent des pans de mur entiers. Des enfants, même des nourrissons, des hommes, des femmes, des personnes âgées, des ados, certains sourient, d’autres ont déjà le visage boursouflé par les coups… comment a-t-on pu en arriver là et massacrer ces gens dans l’horreur et la haine?

Dans une autre pièce on découvre les visages des gardiens, pas majeurs encore mais tellement endoctrinés et si peu instruits qu’ils ont fait preuve de la plus grande cruauté au nom d’une organisation toute puissante. Et pourtant… ils ressemblent tellement à leurs victimes…


Les Killing fields

Après leur visite au centre de sécurité S-21, l’itinéraire habituel amenait les prisonniers au camp d’extermination de Choeung Ek. Nous suivons leur chemin… L’issue de ce voyage était inconnu des victimes qui pensait qu’on les changeait de centre, ils étaient amenés sur ce dernier lieu les yeux bandés et ignoraient où ils se trouvaient. La nuit, un vacarme assourdissant créé par la musique de propagande et le bruit des générateurs masquait les mises à mort et les cris des victimes.

Quand on arrive sur ce lieu, on se retrouve au bord d’un lac, dans la nature, c’est presque charmant… jusqu’à ce qu’on apprenne que les corps de 8985 personnes ont été découverts dans ce charnier en 1980 et qu’il ne s’agit que d’un petit nombre de victimes, 43 des 129 fosses communes n’ayant pas été fouillées, à quoi bon…

 

Jusqu’à ce que l’on remarque des os et des morceaux de tissus dans la terre, ne remontant qu’aujourd’hui à la surface, jusqu’à ce qu’on arrive aux fosses communes et à l’arbre de la mort…

Cet arbre est situé juste à côté d’une fosse où les chercheurs ont principalement retrouvé les traces de femmes et de jeunes enfants. Sur l’arbre, des marques et des traces ont attiré leur attention… il a en effet été une arme redoutable pour briser les crânes des bambins dont le bourreau attrapait les jambes pour pouvoir violemment “balancer” la tête de l’enfant contre le large tronc de l’arbre. Assommés ou morts sur le coup, les malheureux rejoignent ainsi leur mère dans la tombe.

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Qui peut bien avoir la cruauté d’agir ainsi??? Pourquoi des enfants?

Dans la philosophie Khmers rouges qui redoutent la vengeance, il est dit qu’il faut supprimer “la mauvaise herbe en lui arrachant les racines”: à partir du moment où un père de famille était estimé coupable de crime ou de trahison, il était fort probable que toute sa famille soit exécutée avec lui.

Un mémorial a été dressé sur le lieu des “champs de la mort” pour honorer les victimes souvent sans nom, et respecter un devoir de mémoire. A l’intérieur sont exposés 8000 crânes, classés par tranche d’age, sexe et type de mort.

Difficile d’y rester sans se sentir oppressé…

 


40 ans plus tard

En envahissant le Cambodge en Décembre 1978, les Vietnamiens libèrent la population Cambodgienne de son oppresseur, mais la galère n’en fini pas pour autant. Les gouvernements occidentaux, ne considérant pas légitime le nouveau gouvernement mis en place par les Vietnamiens, ont continué pendant 20 ans à considérer Pol Pot comme chef de l’exécutif et à l’aider financièrement… LA HONTE…

A la chute du mur, le Cambodge s’est finalement ouvert au monde extérieur mais avec quel retard et quelles cicatrices! Ce pays reste le plus pauvre de l’Asie du Sud-Est, avec le plus fort taux de corruption. 20% des familles Cambodgiennes vivent sous le seuil de pauvreté, les jeunes filles vendent leur virginité 700$ pour pouvoir acheter les médicaments nécessaires à leurs parents malades…

Et pourtant… souriez dans la rue à un Cambodgien et il vous le rendra en mille! Gentils, drôles, accueillants, les Cambodgiens nous ont touché et nous n’arrivons pas à envisager que les gens que nous croisons auraient pu être les bourreaux des uns des autres…

Ce que l’absurdité d’un seul homme peut faire comme ravages…

 

Après tout ça, on a besoin d’un peu d’air, on se balade donc dans la capitale malgré la pluie, et on apprécie nos errances urbaines, simplement, en tentant de ne pas penser trop fort aux horreurs passées.

 

Le Cambodge en quête d’une mémoire dépassionnée.

 

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